Retrouvez l’article d’ADN du 3 avril 2020 écrit pas Cécile Coucoureux :
L’Aveyron compte environ 3 000 infirmiers, à 80% des femmes : 25% sont des infirmières libérales, le reste comprend des salariées des hôpitaux, des EHPAD, des foyers d’hébergement, de l’Education Nationale, du Conseil départemental (puéricultrices), ou encore d’entreprises.
Pour celles qui continuent à travailler, c’est la croix et la bannière pour trouver du matériel de protection en quantité alors même que certaines constatent avec exaspération le gaspillage de masques auprès du grand public.
Manque de matériel pour les infirmiers libéraux
Car c’est le nerf de la guerre : pour la distribution de matériel, Michel Bonnemaire regrette que les infirmiers libéraux aient été mis en retrait : « on a favorisé les hôpitaux et c’est bien normal », mais les infirmiers à domicile se retrouvent parfois sans protection, avec la peur de contaminer leurs patients les plus fragiles.
« Au départ ils n’avaient pas d’équipement, et puis petit à petit des masques FFP2 sont arrivés mais il manque encore des sur-blouses, des lunettes de protection… ce sont aux infirmières de se débrouiller pour en trouver. » Si les infirmières en EHPAD sont fournies par le centre hospitalier ou l’ARS, les libérales, elles, doivent se débrouiller avec des magasins ou les officines de pharmacie pour récupérer du matériel, gratuit ou payant… et parfois périmé : « certains matériels sont périmés mais peuvent encore fonctionner, reconnait Michel Bonnemaire, mais nous souhaitons que tous les infirmiers puissent disposer d’un masque FFP2 systématiquement pendant tout la durée de leur poste » . Sachant que ce type de masque doit se changer deux fois sur un poste de 7 heures, les infirmiers se retrouvent souvent à court de protections…
Alors le système D se met en branle, surtout par la solidarité : « les libéraux ont dû se débrouiller avec des dons : des entreprises avec des stocks de masques, des sur-blouses ou des charlottes. Les Caves de Roquefort nous ont aidés, ou la Jeune Montagne à Laguiole, certains magasins nous ont vendu des tenues de professionnels ou des combinaisons ».
« Des piliers centraux du maintien à domicile »
Car ce sont bien parmi les seuls professionnels de santé à continuer à se rendre au domicile des patients fragiles : impossible de faire de la télémédecine pour des soins réguliers. « Les infirmières libérales peuvent être confrontées régulièrement à des patients porteurs du virus : elles doivent être protégées, pour elles mais aussi pour leurs patients » rappelle leur porte-parole.
Devant la peur de se retrouver contaminées ou contaminantes, elles se sont organisées par secteurs, à plusieurs cabinets pour se partager les patients en fonction des gens suspectés de COVID-19 et une tournée spéciale a été mise en place pour éviter de contaminer des patients non-touchés. Michel Bonnemaire s’avoue « admiratif de l’organisation et de la solidarité entre cabinets qui se met en place et qui n’existait pas vraiment avant ».
Quant au dépistage, ce n’est pas si simple. Le test de diagnostic du Covid-19 est plutôt rapide (les prélèvement se font à l’aide d’un coton-tige dans le nez) et les analyses sont réalisées par le laboratoire aveyronnais LxBio et le centre hospitalier. Mais venant en majorité d’Asie, leur nombre reste limité et bien que tous les soignants peuvent en bénéficier, les dépistages n’ont pas encore été mis en place. Enfin, gros bémol pour ceux qui sont exposés : « le test peut être négatif un jour et trois jours après, devenir positif. Quand on sera sorti du confinement, cela pourra être une bonne idée pour tester la population mais pour le moment, ça n’est pas utile pour les infirmiers libéraux ». Ce qui n’empêche pas les soignants dans les EHPAD d’en réclamer l’accès.
Mise en place d’une Cellule de soutien éthique au Centre Hospitalier
Concernant le matériel du Centre Hospitalier de Rodez, Michel Bonnemaire est plus optimiste : « les services qui prennent en charge les cas de covid positifs en ont assez pour le moment mais si ça s’aggrave, on leur demandera d’être vigilants dans leur utilisation ».
« La situation n’est pas catastrophique dans notre département comme elle peut l’être dans l’Est de la France ou la Région parisienne. Les habitations relativement isolées favorisent la non-contamination. Les services de l’hôpital ne sont pas en surcharge en termes d’entrées de patients, mais le personnel est très très inquiet de ce qui peut arriver pendant son service »
(Michel Bonnemaire, président du conseil de l’ordre des infirmiers de l’Aveyron)
Si l’Aveyron n’en est pas encore à construire un hôpital de campagne, le Centre Hospitalier est tout de même en train de mettre en place une Cellule de soutien éthique « pour anticiper si la situation devenait très très grave sur les décisions à prendre ». Même si l’infirmier à la retraite se veut positif : « on n’est bien sûr pas du tout dans ce cas maintenant et je pense qu’on ne le sera jamais en Aveyron, ils sont en train de réfléchir à une procédure à mettre en place pour le cas où ça devait l’être. Mais je reste optimiste, le confinement fait son effet et il n’y a pas de concentration de personnes ».
Un confinement au cas par cas dans les EHPAD
Alors que 5 décès liés au coronavirus ont été déclarés dans plusieurs EHPAD de l’Aveyron, le personnel, déjà en effectif minimum avant la crise, est encore moins nombreux aujourd’hui « car certains sont en arrêt maladie, peut-être eux-même contaminés, d’autres commencent à devenir épuisés alors que la situation va durer encore un mois minimum. C’est difficile pour eux ».
Quelques EHPAD ont mis en place le confinement des résidents dans leur chambre, surtout là où des cas de covid-19 ont été déclarés, « ce qui pose des problèmes énormes aux résidents, obligés de rester dans les 12m² de leur chambre toute la journée, mais aussi pour le personnel avec une charge de travail supplémentaire » notamment pour distribuer chaque repas à tout le monde. « Ils allaient peut-être faire un appel à volontaires, ce qui ne serait pas inutile » estime Michel Bonnemaire.
« Aujourd’hui, la situation est celle d’un personnel en souffrance »
L’Ordre des infirmiers de l’Aveyron a fait passer un questionnaire aux professionnels, qui a mis en lumière un personnel « épuisé, angoissé et solidaire avec une situation qui pose parfois des problèmes personnels à certains qui ont du mal à trouver le sommeil et qui s’avouent bien plus fatigués qu’avant, même si l’activité professionnelle n’est pas intense : c’est la peur d’être malade et de contaminer leur famille et leur entourage, sans parler du problème des moyens de protection ».
Et quand on évoque les applaudissements de 20h, Michel Bonnemaire précise que les infirmiers sont « très attentifs à tous ces soutiens qui leur vont droit au cœur. La reconnaissance c’est bien, le Président a parlé de revaloriser les personnels soignants, mais ce sont des paroles et demain, quand la crise sera passée, les infirmiers attendront des actes ».